Parution : 01/01/2015
Certains des rares rescapés de la Shoah déportés de France forcent encore leur mémoire en 2014 pour qu’elle leur restitue des bribes précieuses de l’enfer qu’ils ont vécu il y a 70 ans, et voici qu’un trésor mémoriel vient d’être dégagé des cartons où il était enfoui : nous sommes à nouveau il y a 70 ans en 1945 quand les survivants des lieux d’extermination répondaient à des enquêteurs et à des interrogatoires à l’aide d’une toute récente mémoire fidèle et frémissante.
Nous devons cette découverte et sa présentation à Alexandre Doulut et Sandrine Labeau, dont nous avions coédité le premier ouvrage : Les 473 déportés juifs de Lot-et-Garonne. Histoires individuelles et archives. Depuis que je les connais, je suis rassuré sur l’avenir d’une mémoire tout-à-fait précise sur la déportation des Juifs de France : quand je ne serai plus là, eux prendront la relève. Ils l’ont prise déjà et la meilleure preuve en est que je leur ai confié tous mes dossiers concernant le sort des Juifs dans tous les départements. Ils en font et en feront un excellent usage.
Les principaux apports du présent ouvrage résident évidemment dans les témoignages recueillis oralement et manuscrits ou écrits par le rescapé lui-même sur les formulaires établis par le ministère des Prisonniers, déportés et réfugiés. Le choix a été fait de présenter un témoignage par convoi de façon à rappeler brièvement la constitution et le destin du convoi, et de porter l’accent sur les survivants, en établir le nombre et en donner la liste. En 1978, quand j’ai publié Le Mémorial de la Déportation des Juifs de France, je me suis refusé à publier les noms des rescapés : trop de membres de leurs familles rêvaient encore à leur survie. J’ai décidé de mettre un point discret derrière les noms de ceux dont j’étais sûr qu’ils avaient survécu, et encore comment pouvais-je en être sûr ? La seule base dont je disposais était le cahier-registre du Lutetia, l’hôtel réceptionnaire des survivants, et sur ce document, convoi par convoi, étaient portés les noms de ceux qui étaient revenus ; mais il m’est arrivé de voir sur une page le nom d’un adolescent que sa mère pleurait en 1978 parce qu’il n’était pas revenu. Si j’avais publié le nom de son fils, elle aurait été victime d’un terrible choc. Je ne pouvais encore à cette époque indiquer les noms des survivants. Quant à l’estimation de leur nombre, le premier bilan a été exposé dans le procès de Pétain : « 120 000 déportés raciaux, dont seuls 1 200 sont revenus » ; chiffres inexacts : il y eut entre 75 000 et 76 000 déportés juifs de France.
Alexandre DOULUT - Serge KLARSFELD - Sandrine LABEAU